Alors que nous espérons un déconfinement pour début mai, les citoyens français s’organisent pour penser le monde de demain.
Le pays est arrêté depuis plus d’un mois. La France devrait connaître une chute du PIB d’« au moins 8 % » en 2020 selon le gouverneur de la Banque de France. On nous annonce déjà que le redémarrage sera difficile : la crise économique effraie. Ces derniers jours, le gouvernement a annoncé son projet de loi de finances rectificative, un plan d’aide de l’État à hauteur de 110 milliards d’euros pour soutenir les français et l’économie. Un quart de cette somme servira par exemple à financer le chômage partiel qui touche plus de 8 millions de salariés.
Ce projet de loi prévoit aussi une aide de 20 milliards d’euros destinée aux grandes entreprises telles que Air France ou Renault, sans aucune contreparties environnementales. La société civile, certains députés et plusieurs ONG s’indignent face à cette mesure : des aides financières oui, mais pour enfin engager la transition sociale et environnementale, proposent-ils ?
Serait-il possible de penser une “relance verte” ?
À mesure que les jours défilent, la cagnotte de soutien de l’économie post-épidémie augmente : c’est 110 milliards pour la France, mais aussi 500 de la part de l’UE, 1 000 milliards d’euros sortis de la BCE, 2 000 du côté des États-Unis. Si nous voulons engager une transition écologique et juste, c’est peut-être bien le moment de se décider, car l’argent est sur la table. Pourquoi ne pas s’inspirer des New Deal Vert proposés en Europe comme aux États-Unis ces dernières années ? Ces programmes suggèrent par exemple d’investir l’argent publique dans la transition vers des emplois durables et les énergies renouvelables, d’accorder plus d’importance à la justice sociale tout en diminuant l’influence de l’économie de marché sur nos systèmes. Coïncidence ? Les propositions des citoyens français pour construire le monde de demain font, sans le vouloir, écho aux grandes lignes de ces programmes.
Des propositions citoyennes pour penser le monde de demain
À quoi ressemblera le jour d’après ? Si la France doit se reconstruire, est-ce à l’identique ? Depuis le début du mois d’avril, associations, députés, scientifiques et citoyens s’allient pour fournir des éléments de réponses à ces questions. On remarque deux consultations citoyennes qui se sont mises en place.
La première est l’initiative de 65 parlementaires, pour la plupart issus de LREM. Ils ont signé l’appel de la plateforme citoyenne collaborative « Le jour d’après ». Parmi eux, Matthieu Orphelin, député de Maine-et-Loire, a adressé le 13 avril une lettre publique au président de la République. Il écrit : « C’est une reprogrammation de notre économie qui doit être engagée dès à présent, et non un simple re-branchement à l’identique de ce qui a été débranché il y a quelques semaines. »
La relance sonne donc pour certains comme une opportunité de repartir du bon pied, un nouveau départ pour construire un avenir plus juste et plus durable. « Le jour d’après » propose de se concentrer sur « les combats pour le climat, la biodiversité, la solidarité, la santé et la justice sociale ». Cela passe, entre autre, par la création d’un revenu universel, la revalorisation salariale des aides à domicile, aides-soignantes, infirmières et autres agents hospitaliers, et par le renforcement de 5 milliards par an des investissements des collectivités territoriales dans la transition écologique et l’adaptation aux changements climatiques.
À mi-étape, la consultation, qui s’accompagne d’ateliers participatifs et d’un hackathon, compte déjà 5 550 propositions. Parmi les sujets les plus discutés, la souveraineté sanitaire, la sobriété et lutte contre le gaspillage, la démocratie participative, la lutte contre la pauvreté, ou encore les mobilités. Les députés s’engagent à porter politiquement les 20 propositions les plus soutenues, ambitieuses et pertinentes.
Autre initiative, cette fois-ci hors du jeu politique : celle organisée par WWF France et la Croix-Rouge française, associés à Make.org, en partenariat avec plusieurs associations et médias. L’idée est simple : via une plateforme en ligne les internautes proposent leurs réponses à la question suivante : « Crise Covid-19 : Comment inventer tous ensemble le monde d’après ? ». Il s’agit ensuite de voter ”pour ou contre” afin de faire émerger les idées les plus durables et réalisables. Objectif : ne pas revenir au monde d’avant.
Le projet a été lancé le 11 avril avec un live qui a duré tout le week-end. Ont répondu présents de nombreux scientifiques, personnels hospitaliers, ainsi que des visages familiers comme Marion Cotillard, Cyril Dion, Juliette Binoche, Aurélien Barrau, Claude Lelouch… Pendant deux jours, les internautes ont participé à des tables rondes sur la finance durable, l’éducation, l’engagement associatif et politique, le tout accompagné de chansons, méditation et yoga. Une belle ouverture à laquelle succède un mois de débat et d’idées pour aboutir le 29 mai à un agenda citoyen. Il s’agit de « donner une boussole des priorités pour inventer et construire ensemble le monde d’après » nous explique Alicia Combaz, directrice de Make.org.
« Il s’agit de donner une boussole des priorités pour inventer et construire ensemble le monde d’après »
Alicia Combaz, directrice de Make.org
Elle souligne que les premiers résultats sont très encourageants. Le site, habitué des consultations citoyennes, notamment au sujet de l’environnement, bat un record : « En une dizaine de jours plus de 50 000 personnes ont fait des propositions, c’est du jamais vu ». Des règles très simples, une organisation intuitive et une question compréhensible par tous, voici les ingrédients de ce qui semble être une consultation citoyenne réussie. Un premier débat sur les propositions obtenues est prévu ce dimanche, sous la forme d’un live festival ouvert à tous.
Un appel à l’engagement citoyen
“Citoyens, travailleurs, associatifs, syndicalistes, experts, élus: tout le monde est légitime pour réinventer notre modèle de société en étant force de proposition sur les sujets qu’il estime prioritaires” peut-on lire sur le site de la consultation Le jour d’après. De l’autre côté, le manifeste de l’académie du monde d’après clame “Participez, votez, proposez !”. Voilà un véritable appel à l’engagement citoyen, une invitation à la démocratie participative. Quelques soient les futurs impacts de ces consultations citoyennes sur les décisions de nos dirigeants, elles auront poussé les français à s’interroger et s’investir pour imaginer l’avenir de leur pays. Un engagement citoyen qui, soutenu ou non par la politique, ne s’essoufflera pas : « la société civile a sa propre dynamique », Alicia Combaz en est convaincue, nous avancerons.
« La société civile a sa propre dynamique »
Alicia Combaz, directrice de Make.org
Les sites des conventions citoyennes citées :